Le chômage éthnique

Le taux de chômage en France est d’environ six points de pourcentage plus élevé pour les immigrés africains que pour les natifs. Aux États-Unis, le taux de chômage est d’environ neuf points de pourcentage plus élevé pour les Noirs que pour les Blancs. L’écart entre la minorité (immigrés africains ou noirs) et la majorité (autochtones ou blancs) reste important même après contrôle des attributs individuels tels que l’éducation, l’âge ou d’autres caractéristiques démographiques. La persistance des écarts ethniques de taux de chômage est une préoccupation politique majeure, d’abord en termes d’égalité des chances et ensuite en termes d’efficacité économique, car des ressources considérables sont gaspillées pour l’économie si de grands groupes ne peuvent pas facilement accéder à l’emploi. Cependant, les causes des lacunes sont encore débattues. En particulier, on ne sait pas encore si c’est la « race » ou « l’espace » qui est le principal facteur explicatif des mauvais résultats sur le marché du travail de nombreuses minorités (voir Ellwood, 1986). La littérature sur l’inadéquation spatiale, initiée par Kain (1968), a en effet tenté de déterminer si les travailleurs issus de minorités ont un accès plus difficile au marché du travail ou s’ils sont confrontés à des obstacles dans le choix du logement, ce qui rend difficile leur localisation à proximité des opportunités d’emploi.
Temps de trajet
Un indice peut provenir de l’observation des données sur le temps de trajet par groupes de travailleurs. Les données indiquent que la minorité fait face à des temps de trajet plus longs pour se rendre au travail, reflétant potentiellement un accès plus difficile aux emplois. Le tableau 1 montre qu’en France, l’écart entre les temps de trajet médians rapportés au temps de travail journalier est de 17 % (et de 24 % pour le temps de trajet moyen). 1
Aux États-Unis, les différences de temps de trajet entre les travailleurs noirs et blancs sont similaires à celles de la France. De plus, la France et les États-Unis diffèrent en ce qui concerne les taux de mobilité géographique liée à l’emploi : ils sont plus élevés pour les travailleurs minoritaires que pour les travailleurs majoritaires en France, et assez similaires pour les Blancs et les Noirs aux États-Unis.
Étant donné que plusieurs facteurs affectent le taux de chômage d’équilibre d’un groupe donné, y compris non seulement la productivité et les décisions d’acceptation d’un emploi, mais aussi des caractéristiques géographiques telles que la mobilité géographique, l’accès à des lieux de résidence avec un bon accès à l’emploi et enfin la possibilité de se déplacer, il est difficile évaluer le rôle respectif de chaque facteur dans la détermination des taux de chômage ethnique. Malheureusement, il est difficile de trouver une expérience naturelle appropriée pour bien décomposer le rôle respectif de chaque marché (logement et marché du travail).
Nouvelle recherche
Dans un article récent (Gobillon, Rupert et Wasmer 2013), nous essayons de quantifier l’impact de l’inadéquation spatiale sur le taux de chômage des groupes ethniques. Plus précisément, nous proposons une méthodologie pour évaluer cette hypothèse de « discordance spatiale dynamique », c’est-à-dire les décisions intertemporelles de logement, de déplacement, d’acceptation d’un emploi et de démission. Nous construisons un modèle d’appariement macroéconomique traitable destiné à capturer les forces pertinentes à l’œuvre. Elle permet d’évaluer l’importance des facteurs liés au marché du travail et des facteurs spatiaux. Nous modélisons les frictions sur les marchés du travail et du logement alors que, dans la littérature, les frictions sont généralement introduites sur un seul marché ; nous calibrons le modèle pour obtenir des résultats quantitatifs plutôt que de donner uniquement des prédictions théoriques ; enfin, nous effectuons des statiques comparatives pour évaluer la contribution des facteurs professionnels et spatiaux à l’écart de taux de chômage ethnique.
Résultats
Globalement, si les facteurs liés au marché du travail jouent un rôle majeur, les facteurs spatiaux expliquent en France entre 17 % et 25 % de l’écart de taux de chômage entre la minorité et la majorité, selon les décompositions. Les résultats apparaissent robustes à divers paramètres de calage alternatifs et correspondent à un écart de taux de chômage compris entre 1 et 1,5 point de pourcentage, sur six points de pourcentage. Decreuse et Schmutz (2012) trouvent des résultats qualitatifs similaires puisque, dans leur étude, les facteurs spatiaux expliquent environ 15 % de l’écart de taux de chômage. Il est également cohérent avec Rathelot (2013) qui étudie l’écart d’emploi entre les natifs français et les Africains de deuxième génération, et constate qu’entre 63 % et 89 % de l’écart d’emploi subsiste après contrôle des caractéristiques individuelles observables et de la localisation, ce qui suggère que les différences d’accès au marché du travail jouent un rôle majeur et les facteurs spatiaux un rôle moindre.
Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les facteurs à l’origine des différences ethniques dans l’accès au marché français du logement. Il semble que les différences de résultats entre les groupes ethniques sur le marché du logement soient moins dues au fait que la minorité reçoit moins d’offres de logement qu’au fait que la minorité reçoit moins de bonnes offres. Autrement dit, alors que la probabilité d’offres de logements peut être la même pour la minorité et la majorité, les offres à la minorité concernent des logements situés plus loin des emplois. Ce résultat est cohérent avec d’autres travaux sur le marché français du logement qui mettent l’accent sur une forte inadéquation spatiale et une ségrégation croissante (Bouvard et al. 2009). 2
Aux États-Unis, les facteurs spatiaux semblent également jouer un rôle et expliquer 1 à 1,5 point de pourcentage de la différence de taux de chômage entre les Noirs et les Blancs. Cependant, cela ne correspond qu’à 10 à 17,5 % de l’écart total de taux de chômage racial, car il existe une différence absolue plus importante dans les taux de chômage.
conclusion
Il semble que les différences dans les distances de navettage expliquent une grande partie de l’écart de taux de chômage. En France, une plus grande mobilité de la minorité compense en partie la contribution des différences de navette à l’explication de l’écart de taux de chômage.
Dans l’ensemble, les facteurs liés au marché du travail restent la principale explication du taux de chômage plus élevé des immigrés africains en France et des Noirs aux États-Unis, mais il convient de mieux comprendre pourquoi les travailleurs issus de minorités sont confrontés à des temps de trajet plus longs, en particulier en France où les études sont rares.
Plus généralement, nous pensons que notre méthodologie peut être reproduite pour traiter d’autres problèmes dans lesquels les marchés du travail et du logement interagissent de manière complexe.

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